samedi 29 juillet 2017

La production du sens dans les vidéoclips (Iere partie)



Duygu Öztin Passerat est Chef du département du FLE à l’Université Dokuz Eylul-Izmir (Turquie). Professeur et intervenant reconnu dans le milieu universitaire de plusieurs pays, elle travaille sur l’argumentation dans le discours politique (en Turquie). On lui doit notamment « Le discours implicite à travers l’oralité dans Le passé simple de Driss Chraïbi », « Le discours politique de victimisation » (paru sous le titre original de « Siyasal Soylemde Magduriyet »), « Passions dans Sémantique structurale : du modèle actantiel vers la sémiotique des passions ».



Les vidéoclips, caractérisés comme les chansons imagées ou les images musicales, et destinés essentiellement à la promotion des chansons, ont commencé, depuis ces dernières quelques années, à s’imposer largement comme une forme d’expression télévisée en Turquie. Il arrive même qu’une chaîne soit consacrée à la diffusion des vidéoclips. Il est évident que leur tournage (production) est dû à l’importance accordée aux images. Le propos de cette étude n’est néanmoins ni chercher une réponse aux questions telles que “pourquoi on tourne un vidéoclip?” ou  “les clips contribueront-ils vraiment aux ventes des chansons?” ou, encore, “comment pourrait-on produire pour réussir ?, ni déterminer les subtilités artistiques des vidéoclips, mais, envisageant les clips comme un langage, d’en dégager les composants et les codes constituants et de mettre au jour l’étape de leur énonciation (production). Ce faisant, nous analyserons la manière dont les images sont structurées en tant que signes dans les clips et les processus de signification par lesquels les images passent pour construire le message, et démontrerons si les clips ont leurs propres signes et recourent à des stratégies spécifiques.

Les signes dans les vidéoclips
Le vidéoclip est constitué d’images musicales ou de chansons imagées, pour dire inversement. Dit autrement, les composants constitutifs primordiaux du vidéoclip sont les images et la musique, constituée elle-même de mélodies et de paroles[1]. La dimension visuelle du vidéoclip ne pourrait pas être réduite au seul image puisque cette dernière est un élément sui generis de plusieurs langages planaires tels que la sculpture, l’affiche, la photographe, la peinture, les gestes, le bâtiment, etc. Il faudrait donc distinguer l’image dans les vidéoclips de celle des autres langages cités. L’image spécifique aux vidéoclips est la même que celle que l’on peut trouver dans le langage cinématographique se présentant comme  mécanique, multiple, et mouvementée. Ce qui nous amène à affirmer que les stratégies utilisés dans les vidéoclips sont dérivées du langage cinématographique et que chaque vidéoclip est un mini-film.
Les vidéoclips qui se rapprochent du cinéma par leur composants, s’en distinguent par la priorité accordée à la musique autant qu’à l’image, puisque les paroles et la musique ne sont pas des composants indispensables pour le langage cinématographique le sont pour le langage du vidéoclip. On peut même affirmer qu’elles sont plus importantes que l’image pour celui-ci. D’autre part, tandis que les paroles dans le cinéma consistent  en des dialogues et en des monologues, elles sont accompagnées de la musique dans les vidéoclips: Ces paroles ont la similarité avec celles du langage poétique où l’on s’exprime, en principe, à l’aide  des mots connotés. On pourrait adapter au langage des vidéoclips ce que soulignait Metz pour le langage cinématographique, en disant que le langage dans le vidéoclip est un langage hétérogène dans lequel plusieurs codes s’associent.

Les formants de l’image: l’iconique et le plastique
L’image sur lequel est fondé le cinéma, l’affiche, le tableau etc. a ses sous-codes ou  formants (figures). L’école sémiotique de Greimas et Groupe Mu prétendaient que la visualité est constituée de deux signes qu’on pourrait appeler sous-codes : le signe iconique et le signes plastique. Le premier dont le rapport entre  le signifiant et le signifié est d’ordre analogique se fonde sur l’imitation de la réalité extérieure : l’arbre, la maison, le chat, la voiture, etc. Le deuxième qui constitue le niveau profond sont des formants tels que la lumière, la forme, la surface, les dessins géométriques etc. Hjelmselv considère ces derniers comme des figures constituant la forme de l’expression d’un signe. Il existe des langages artistiques qui ne consistent qu’en des signes plastiques ; les tableaux non figuratifs en utilisent pour se doter d’un langage et le système de signification y opère par l’utilisation de la lumière, de la surface, de la couleur, etc. Greimas, pour sa part, affirme que la signification dans les langages composés des signes plastiques ne consiste qu’en la composition des signes contrastifs ou similaires. L’aspect naturel ou iconique des images constitue le caractère directe ou thématique de la visualité tandis que le plastique forme l’aspect indirect et associatif  qui évoque chez nous tout ce qui est abstrait.[2] De ce fait, J. M. Floch indique que le langage fondé sur des signes plastiques est un langage semi-symbolique.[3]
Le caractère iconique et naturel de l’image est dû au fait que ses deux formants soient analogiques et indépendants de l’un de l’autre. C’est pour cette raison que Greimas trouve une similarité entre les formants des messages visuels et ceux de la métaphore et de la métonymie (dans le langage verbal) car, pour lui le rapport entre le signifiant et le signifié dans ces deux derniers réside dans l’analogie. De ce fait, la fonction sémiotique d’ordre iconique concerne le rapport entre la forme et le contenu alors que celle  d’ordre plastique porte sur la forme de l’expression. Il est possible d’établir une analogie entre les formants plastiques et les lettres ou les sons qui constituent la substance de l’expression dans le langage naturel et les formants iconiques à ce que ces lettres se référent dans le langage verbal. Une comparaison entre le langage naturel et le langage visuel ferait voir que l’iconicité de l’image peut correspondre à l’aspect référentiel (figuratif). Comme l’affirme Greimas[4], la figurativité[5] (l’aspect descriptif) dans le langage naturel (verbal) se manifeste sur le plan du signifié (le contenu des mots) alors qu’elle s’exerce sur le plan du signifiant  (l’expression des images) dans le langage visuel. De ce fait, la sémiotique visuelle a pour but de démontrer comment le contenu s’est formé dans la forme de l’expression.[6]
Quant à l’image dans les vidéoclips, elle est un signe qui combine à la fois les signes iconiques et plastiques. Mais elle a un autre aspect dû aux paroles et à la musique de la chanson, à savoir l’aspect auditif. Il est très fréquent que les images forment un système de signification en s’associant avec d’autres signes sémiotiquement différents tels que le cinéma, la bande dessinée, la caricature, la publicité, etc. Tous ces systèmes de signes permettent  de signifier quelque chose. En revanche, ce qui distingue les vidéoclips des autres est le canal de communication. La peinture et la caricature sont identiques du point de vue de leur canal: ils s’adressent ou atteignent au spectateur (lecteur) à l’aide du papier. De ce point de vue, les vidéoclips, les films de cinéma et de publicité sont identiques, puisque tous utilisent comme support des images sonores et en mouvement, et  s’adressent au spectateur par l’intermédiaire de la télévision. L’image dans ces derniers langages est d’ordre spatial et linéaire puisqu’elle est auditive (musique et paroles) ; elle est mécanique parce qu’elle est enregistrée par le caméra et elle est diffusée par la télévision. De ce fait, la perception de l’image se réalise dans l’espace et dans le temps.
(A suivre)




[1] De nos jours, il existe des vidéoclips tournés aussi pour la promotion des poèmes. De ce fait,  nous entendons par les  « paroles » les vers du poème et les paroles de la chanson à la fois.
[2] Sonesson, G. ; De l’histoire de l’art à la sémiotique visuelle. Pour un autre discours de la méthode, p.55
[3] Greimas ; Courtès : Sémiotique, dictionnaire raisonné de la théorie du langage, Volume II. p.169
[4] Greimas, Sémiotique figurative et sémiotique plastique, p.11
[5] On entend, par la figurativité, tout ce qui correspond à la réalité extérieure
[6] Alors que la  figurativité se manifeste par la composition des mots dont les sèmes sont opposés ou similaires, elle procède, dans le langage visuel, par la composition des images (plastiques et iconiques) dont les formes (couleur, forme, lumière) sont opposés ou similaires. Par exemple, le mot « noir » est significatif tant qu’il existe « le blanc ». Ceux qui s’opposent, là, ne sont pas des lettres n.o.i.r. et b.l.a.n.c. mais leur référence dans le monde réel. En revanche, une maison blanche dans le langage visuel est significative tant qu’il existe une maison noire, ou jaune. Les termes significatifs dans le langage visuel se manifestent dans le plan de l’expression. La signification ou la forme du contenu procède donc dans le plan de l’expression.

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