samedi 12 août 2017

La production du sens dans les vidéoclips (3e partie et fin)



Duygu Öztin Passerat est Chef du département du FLE à l’Université Dokuz Eylul-Izmir (Turquie). Professeur et intervenant reconnu dans le milieu universitaire de plusieurs pays, elle travaille sur l’argumentation dans le discours politique (en Turquie). On lui doit notamment « Le discours implicite à travers l’oralité dans Le passé simple de Driss Chraïbi », « Le discours politique de victimisation » (paru sous le titre original de « Siyasal Soylemde Magduriyet »), « Passions dans Sémantique structurale : du modèle actantiel vers la sémiotique des passions ».

Avec cette troisième et dernière partie de la communication « La production du sens dans les vidéoclips », Arabian People, Maghrebian World remercie le Professeur Duygu Öztin Passerat pour son aimable agrément à sa publication dans ces colonnes.



Les stratégies de production du sens dans les vidéoclips
Les codes de l’image
Le langage des clips est un langage analogue au langage naturel fonctionnant sur les axes paradigmatique et syntagmatique. La syntagmatique des images consiste en la coexistence des images tels que l’arbre et l’oiseau sur l’arbre ou la rue et une voiture dans la rue. Le paradigme des images est constitué d’une série d’images qui peuvent se remplacer et on pourrait l’appeler le paradigme des images contrastes ou des images similaires. Par exemple, l’image d’une avion et l’image d’une voiture (sur la voiture) ne peuvent pas coexister dans un même plan. Il faut choisir l’une parmi ces images. C’est le fonctionnement du système figuratif (iconique).
Quant au système des signes plastiques, il fonctionne de la même manière que celui des signes iconiques. La syntagmatique du système plastique est un axe sur lequel les couleurs, les formes, les dessins, les jeux de lumière peuvent coexister, alors que le paradigmatique est un axe fondé sur des signes exclusifs tels que le jaune et le blanc, le rouge et le violet, etc. Mais les images dans les vidéoclips ne doivent pas utiliser des objets conformes au réel. Comme nous l’avons déjà affirmé, la visualité ne se limite pas à la conformité au réel. Et les images, combinatoires des signes plastiques et iconiques déforment délibérément la visualité. Sinon, les images dans les films de science fiction et celles dans les tableaux surréalistes seraient qualifiées de non visuelles. Autrement dit, même si l’iconicité est dûe à l’imitation du monde extérieur, les images dans les branches d’art tels que la peinture, le cinéma, les vidéoclips etc. n’appartiennent plus au monde qu’ils représentent ou qu’ils signifient par leur catégorie chromatique et iconique; elles n’appartiennent qu’au monde imaginaire signifié par elles. Et le monde représenté par ces images n’est plus la réalité dans laquelle on vit.
C’est ce qui rapproche le langage visuel du langage poétique dans lequel on projette le principe d’équivalence de l’axe paradigmatique sur l’axe syntagmatique.[1] Les clips utilisent des signes iconiques ou des signes plastiques qui ne sont pas conformes au monde réel ou encore des images qui ne peuvent pas coexister dans le monde réel. Ils n’associent pas les images selon le principe d’équivalence. De plus, ils le rejette intentionnellement en vue d’attirer l’attention du spectateur sur le message et pour avoir des messages connotés. Ce faisant, ils essayent, à l’aide de la technologie, des divers formes d’expression: la diforme de substance de l’image; la coexistence des images colorées et de noir et blanc; la duplication de ce qui chante [2];  la transformation d’un objet à un autre[3]; la démonstration du chanteur en des petits carrés sur l’écran, etc.
La technique la plus fréquente (connue) utilisée dans la démonstration des images consiste à donner des images noires et blanches avec des images colorées. Par exemple,  si la chanteuse est montrée totalement  en noir et blanc, mais ses lèvres sont montrées (maquillées) en rouge.[4] Dans le vidéoclip de Sertab Erener, on déforme intentionnellement la substance de l’image pour établir une correspondance avec les paroles de la chanson intitulée “frappe mon coeur, frappe encore une fois”, car la difformité de l’image et l’interprétation de ces vers sont simultanés. Et l’on lit une notice d’avertissement sous l’écran “ne changez pas de fréquence”.
Certains clips, tournés après le grand catastrophe de tremblement de terre qui a eu lieu le17  août 1999 en Turquie, utilisent ce fait comme référence même si les paroles ne s’y réfèrent pas: on montre, à la place de la lune, une horloge qui montre qu’il est 3.05, l’heure exacte du tremblement de terre. Dans ces types de clips, on vise à produire du sens en manipulant la pré-connaissance du spectateur.[5]
L’échelle de plans/Les mouvements de caméra
Le délai d’énonciation visuelle des clips correspond généralement à celle de la musique, à savoir 5 ou 6 minutes. Ainsi que nous venons de l’affirmer, les clips recourent à tous les procédés d’expression de cinéma tels que le gros plan, le plan moyen, le travelling, le panoramique, le fondu enchainé etc. pour en faire la forme d’expression, pour elle-même.
On pourrait, de ce fait, définir l’énonciation du tournage des clips comme l’association des images avec la musique et les paroles, l’organisation des couleurs et des objets en cohésion, la disposition de l’échelle de plans et la fixation des mouvements de récepteur. En produisant du sens par ces divers composants, le clip met en oeuvre généralemet les formes d’éxpresion de la manière suivante :  le chanteur, defini ci-dessus, comme sujet énonciateur de la première étape de l’énonciation, se montre, en chantant, comme sujet de l’énonce. Ceci peut être identifié au fait qu’une personne qui parle dans les films soit visible sur l’écran. Ces formes d’expression montrent le chanteur le plus souvent par des plans moyens ou par des gros plans où le récepteur (spectateur) et la personne dans les images s’identifient. Ce type de formes d’expression est utilisé en général dans les clips où l’artiste seul est vu  sur l’écran.
Les autres procédés (techniques)
L’échelle des plans et le movement de caméra ne sont pas seuls les techniques utilisés dans les vidéoclips. Ces derniers, en produisant du sens, utilisent tous les procédés langagiers du cinéma tels que le fondu enchainé, le fondu au noir, le retour en arrière, l’écriture la voix-off, le champ-off, etc. Ces derniers (champ-off et voix-off) sont fréquemment utilisés, parce que’on n’entend que la voix du chanteur pendant que l’on montre des images qui n’ont rien à voir avec les chansons ou celles qui correspondent à la chanson. De ce fait, ils  sont utililisés dans deux types de clips: les vidéoclips dits dépendants et les vidéoclips dits indépendants.  Dans le premier cas, les images s’associent selon la  substance du contenu (ce que dit la chanson) et on utilise toutes les procédés du langage cinématographique. Par exemple, le clip ou la chanson intitulé(e) “le coquelicot (gelincik)” du groupe Ayna utilisent tous les procédés cités ci-dessus. D’autre part, pour montrer la fuite du temps, on donne même les dates, comme dans les films, en bas des images du clip intitulé “Le frivole" (hercai) de Çelik. Dans les vidéoclips qui ne sont pas en cohésion avec les paroles de la chanson, on montre le chanteur en dansant s’il danse bien, ou encore on donne, quoi qu’il ne soit pas nécessaire, les yeux en gros plan s’ils sont beaux. Les vidéoclips de Tarkan et ceux de Robert Hatemo en sont des exemples.
Par ailleurs, les chansons, prenant comme thème, en principe, un amour terminé, une séparation, il existe généralement, dans les vidéoclips,  une femme et un homme dont l’un est toujours le chanteur ou la chanteuse. Si c’est un chanteur, il est accompagné très souvent d’une femme belle et on la montre en donnant en gros plan les parties érotiques ou séduisantes de son corps pour attirer l’attention du spectateur au vidéoclip. S’il s’agit du clip d’une chanteuse, on l’opère inversement.  De ce fait, dans certains vidéoclips (en Turquie) la tentation de compléter la dimension thématique (chanson) et la dimension visuelle débouche sur la production des clips où sont démontrés, en des gros plans, des mannequins à moitié nu(e)s.





[1] Selon Jakobson, la fonction poétique projette le principe d’équivalence de l’axe de sélection sur l’axe de combinaison. Autrement dit, les mots qui pourraient se remplacer peuvent coexister. Ce fait s’exerce dans les poèmes, dans les figures de styles dans lesquels on joue avec les mots pour produire du sens. Par exemple, la phrase « les murs pleuraient » est impossible pour le langage parlé tandis qu’elle est utilisée dans les vers d’un poème. (Essais de Linguistique Générale, p.220)
[2] On a essayé cette forme d’expression dans le vidéoclip de « padişah  (empereur) » de Sibel Can.
[3] Cette forme de technique est réalisée à l’aide de l’ordinateur, par exemple, une trompette se transforme en un homme (chanteur) dans le vidéoclip de Haluk Levent
[4] Ce procédé est essayé dans le vidéoclip de Sezen Aksu intitulé « son nom est un secret chez moi »
[5] Ce type de clips ne dirait rien pour un spectateur qui n’est pas en courant de ce fait, ou encore pour ceux qui ne connaissent pas l’heure exacte du tremblement de terre. C’est pourquoi la signification dans certains clips est due aux motifs sociologiques. 

Aucun commentaire:

popstrap.com cookieassistant.com