mardi 16 juin 2009

Musique savante et tradition orale : Fadhel Messaoudi, au-delà du Temps

Arabian People & Maghrebian World a rencontré Fadhel Messaoudi, interprète franco-tunisien de ‘Oud (luth oriental) et spécialiste de la musique arabe savante et de la musique andalouse.

Le musicien pédagogue : création d’un centre de musique de tradition orale du monde arabe et d’ailleurs 
Ayant dirigé, auparavant, une chorale de chant classique, Fadhel Messaoudi voit les choses autrement et quitte cet ensemble. Il est suivi par Sabrina Belbachir (chant) et, tous deux, ils réfléchissent à la création d’une association qui travaillera dans l’optique d’une tradition orale à ramener sur la scène et à dispenser. Au-delà, c’est aussi un travail approfondi de réflexions qui est élaboré, c’est la transmission orale de la musique savante arabe, une certaine philosophie d’une musique et son particularisme : l’improvisation (ou la composition dont on parlera plus loin). Lors d’un atelier, nous avons vu l'artiste tout à son travail de professeur de musique de deux groupes d’élèves de ‘Oud. Gestes et intonation vocale précis, il suit chaque élève au quart de note près. Opiniâtre, il pousse chacun jusqu’à la précision. Au-delà de la pédagogie d’apprentissage de la musique savante arabe – l’art de la répétition - Fadhel Messaoudi se promène sur l’échelle modale des maqâms comme s’il était tombé dedans à sa naissance. Le puriste en lui ne laisse passer aucune fausse note ou une fausse émotion.
Le musicien de l’excellence et le compositeur de la beauté 
On attend un musicien – de talent certes – mais pas la virtuosité vocale et Fadhel Messaoudi qui possède le « rouh’ moussiqi » (le souffle musical dans son sens le plus profond), surprend l’auditeur par les inflexions chaudes et rauques de sa voix lorsqu’il lance un hijaz (« do » occidental) pour mieux accompagner sa note ou pour expliciter concrètement la dite note à un élève.
On attend un simple interprète – de talent certes – et l’on découvre un maître accompli et plus qu’un maître, un compositeur comme on le conçoit dans la musique savante arabe. Il improvise, à partir d’une note, une pièce instrumentale, vous promenant savamment sur une échelle de notes dont le théoricien de la musique arabe du XIe siècle – Al-Hasan ibn Ahmad ibn ‘Alî al-Kâtib – dira « Les passions sont les différents changements provoqués dans l’âme sous l’effet de différentes sortes de mélodies. C’est pour cette raison qu’il faut qu’il y ait ressemblance entre l’âme et les mélodies ». (« La perfection des connaissances musicales » - Kitâb kamâl adab al-ghinâ’, Ed. Librairie orientaliste Paul Geuthner, Paris 1972). 
Son art, il commence à l’apprendre auprès de son premier maître, Es-Sadeq Laamouri, et abordant la difficile voie de la musique savante, il pose patiemment ses pierres en travaillant, plus tard et en France, avec le Centre d’Etude des Musiques et Danses du Mashreq et du Maghreb ; puis avec l’ensemble Al-Adwar (de la chanteuse Aïcha Redouane). Il continue son périple de l’improvisation et de l’interprétation en créant l’ensemble Al-Maqâm, tout en donnant des concerts et en multipliant les rencontres musicales dans plusieurs pays et avec des poètes. Il est aujourd’hui, comme cela a été dit précédemment, l’un des deux fondateurs du Centre de musique de traditions orales du monde arabe. A côté de cette longue tâche de travail et de recherches sur la tradition orale, il enseigne aux conservatoires municipaux du 17e et 18e arrondissements de Paris, la capitale française. 

Tout récemment, le 5 juin dernier, Fadhel Messaoudi s’est produit à Venise avec un concert joué avec la pianiste franco-syrienne, Racha Arodaky, elle-même Premier prix du Conservatoire Tchaïkowsky de Moscou. 


Le musicien philosophe : quand le respect de la vie imprègne l’interprétation

Arabian People & Maghrebian World a pris sa leçon, au cours de l’interview, avec Fadhel Messaoudi. « J’ai vu que le « bâton » gérait tous les niveaux de la vie mais qu’il n’y avait aucune philosophie », a-t-il dit en évoquant l’écrivain-philosophe Mahmoud Messaadi (penseur tunisien disparu en 2004). « Si je peux résumer ma vie, c’est la musique. Tu « endures » sans soutien et ton soutien n’est que ta foi ou ta musique et ce soutien, il est en toi-même ». Une pointe d’amertume nostalgique apparaît alors : « Où est l’espoir ? Je n’appartiens pas à cette époque mais à celle de l’ancienne Andalousie, celle dont les aïeuls te guident vers telle ou telle voie. » Cette manière d’être, l’interprète-compositeur veut l’inculquer à ses élèves.

« Compositeur, Fadhel Messaoudi, l'êtes-vous ? »

Après un moment de silence, il dira n’avoir jamais pensé à cela mais que, dans l’art de l’improvisation, nous répond-il, « j’essaie d’ajouter quelque chose de moi-même. Du moment qu’il y a le tarab (extase, émotion sensuelle), je ne dirige plus ce qui sort ». Et cela « fait mal » car le « métier est très long » et il finit sa réflexion par celle du baron Rodolphe d’Erlanger (qui oeuvra beaucoup pour la musique savante arabe et vécut une vingtaine d’années en Tunisie) : « Le musicien arabe a toujours ajouté quelque chose de lui-même ». Et c’est pour cela qu’il ne peut y avoir de comparaison entre le compositeur occidental qui suit scrupuleusement la partition et le compositeur de l’improvisation, lequel dépasse le maqâm de base pour se promener sur l’échelle modale au fur et à mesure que son émotion l’inspire et le guide... 


Le Centre des musiques de tradition orale. Musiques du monde arabe et musiques du monde Nous l’avons dit plus haut, le Centre fut créé à l’initiative de Fadhel Messaoudi et Sabrina Belbachir, elle-même chanteuse.
Dans ses statuts, le Centre se définit comme un « lieu d'enseignement, de diffusion, d'échanges, d'information et de recherche. Il entend élaborer et appliquer une méthode pédagogique basée sur la tradition orale. Cet enseignement, accessible à tous, sera destiné aux enfants comme aux adultes, sans discrimination d'âge ou d'origine. L'association est laïque, apolitique et à but non lucratif. »
Les cofondateurs seront rejoints par Florence Coynault. Cette dernière, qui a une formation de développement de projets et qui vient du milieu socioculturel, a rejoint les fondateurs du centre dès qu’elle eut pris connaissance de cet univers magique et du grand projet de travail autour de la tradition orale qu’envisageaient les co-fondateurs.
Le Centre n’ayant pas encore de siège définitif, c’est à l’Espace d’animation Château-Landon que les ateliers d’étude de ‘Oud (luth oriental) et de percussion sont lancés, sous la direction de F. Messaoudi. Ainsi émerge, en cours de route, un autre projet auquel s’associe le codirecteur général de l’Espace d’animation, Gérard Caballero : la mise en place un stage complètement dirigé par le centre de musique de tradition orale. Ce stage est un préliminaire aux réflexions de développement de la tradition orale.

 Programme du Centre de musique 2009-2010
Juin, 17 & 18 - Concert et un stage au Festival de Toulouse. 
Juin, 26 - Représentation des élèves avec leurs professeurs de danse orientale et de percussions africaines. 
Juillet, 6-9 - Stage de 'Oud intensif pour débutants (3/4 jours). 
Octobre, 10 & 11 - Forum des Associations du 10e arrondissement. Petit concert avec les élèves. 
NovembreToussaint - Stage de ‘oud (public non précisé – se renseigner auprès du Centre (voir e-mail en fin d’article). 
Février 2010 - Stage de chant. 
Pâques 2010 - Stage de ‘Oud pour enfants. 

Contact : cmto.asso@yahoo.fr
A voir : http://www.chateaulandon.com/actualite.php

Arabian People & Maghrebian World remercie le Centre des musiques de tradition orale pour leur aimable prêt de photographies (reproduction interdite).

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