lundi 25 avril 2011

Djilali Bencheikh, un auteur qui aime "vadrouiller à travers le genre humain"...

Djilali Bencheikh. Photo
Arabian People & Maghrebian World.

Djilali Bencheikh est une personnalité qui n’a de cesse d’étonner celui qui l’aborde pour la première fois. Romancier nous montrant la face cachée de sa tendresse pour sa mère dans un écrit intitulé « Lella » qui est paru dans un recueil de textes d’auteurs sous le titre de « Ma mère» (Editions Chèvrefeuille étoilé, France), journaliste et critique littéraire connu pour sa chronique littéraire « Au fil des pages » à Radio-Orient, il est l’image d’un auteur qui s’impose non pas comme une icône au-dessus de son Olympe, mais d’une tout autre manière : la simplicité de son accueil, sa disponibilité... Beaucoup d’humour derrière une courtoisie de bon ton et l’interlocuteur sort enchanté après une rencontre avec Djilali Bencheikh (1).

Cet humour est présent, d’ailleurs, dans son roman « Tes yeux bleus occupent mon esprit» (aux éditions Elyzad, Tunisie) dont le personnage-narrateur est un tout jeune adolescent qui peint l’atmosphère et les relations dans l’Algérie colonisée où la guerre d’indépendance montre ses premiers signes : « Zenzla, loubia, thaoura. Séismes, haricots blancs et Révolution. Voilà le triptyque singulier qui marquera mes dix ans et cette tumultueuse saison 54 ». Un humour tout de même temporisé par la dramatique situation du peuple algérien dont il rappellera : « Aux attaques imprévisibles des frères répondent une succession de vexations, de rafles, d’internements, avec un couvre-feu infernal imposé à la population musulmane ». Le tout est relié au premier amour du jeune garçon pour une adolescente du même âge qui le bouleverse avec ses yeux si bleus, de ce bleu qu’il n’aime pas d’ailleurs et encore moins parce qu’il est le symbole du drapeau de l’occupant. Entre les deux, un récit empli de doutes, de promesses à soi-même, de regards légèrement indulgents pour les « harkis », les collaborateurs de l’ennemi non pas parce qu’ils collaborent mais parce qu’ils sont devenus des parias : une peinture de vie en ce temps-là pourtant encore si proche et entrecoupée d’une soif pour le savoir...

C'est donc dans un contexte des plus chaleureux qu'Arabian People & Maghrebian World sera « reçu » par Djilali Bencheikh au Salon du livre 2011 de Paris ... 


Arabian People : Vous venez de dire, en aparté, que vous n’aviez pas d’a priori en ce qui concerne une identité particulière.
Djilali Bencheikh : En tout cas, en ce qui concerne la zone maghrébine ! Par exemple, je suis né en Algérie, je suis Algérien et suis fier de l’être, mais j’aurai été tout aussi fier d’être Marocain ou Tunisien. D’ailleurs, je vais souvent en Tunisie, ne serait-ce qu’en raison de la présence de mon éditrice tunisienne. Maintenant, je commence à aller au Maroc et quand je visite ces pays, je me sens un Maghrébin complet. Donc, je ne tiens pas compte des considérations artificielles des frontières, frontières qui ont été, en fait, tracées par le colonisateur. Je préfère nomadiser, comment dire, vadrouiller à travers le genre humain, alors, je commence par mes voisins et mes amis. Et puis comme je vis en France depuis si longtemps, j’ai eu l’occasion aussi de rencontrer des personnes de toutes origines et de tous milieux et suis tout à fait heureux comme ainsi dans le Village planétaire. Voilà ce que je veux dire par là, mais je ne renie, évidemment, en rien mes origines, etc. - La question n’est pas là. C’est-à-dire qu’il faut bien comprendre que, dans ce monde troublé, il ne faut pas non plus mettre le patriotisme étroit partout. C’est bien de défendre son pays d’origine, d’aimer son pays d’accueil – les deux - mais il ne faut pas non plus se figer sur des frontières que j’appelle artificielles : je ne sais pas ... rencontrer un Suédois généreux et intelligent et un Algérien « méchant » (rire), je choisis le Suédois. Voilà ce que j’entends par là. Pour moi, j’aimerai bien que ma nationalité soit la Planète. Cependant, je n’oublie pas mes origines et notamment ceux, tellement nombreux, qui sont morts, qui se sont battus pour que l’Algérie vive son histoire, ait son identité. J’étais enfant quand l’indépendance est arrivée, je n’oublierai jamais. Mais à partir de là, on aurait pu prendre celle-ci comme tremplin et construire, s’ouvrir aux autres, former les jeunes dans un esprit de l’échange. Or, j’ai bien peur qu’un peu partout dans le monde et, notamment, dans nos pays africains, on s’est figé sur des identités nationalistes, étriqués, qui ont donné des carnages inouïs. Non, il y en a « marre », il y a trop de sang, trop de sang coulant inutilement.

Djilali Bencheikh aux côtés (à partir de la gauche) de l'auteur Yamen
Manai, l'éditrice d'Elyzad Elizabeth Daldoul et d'un représentant du
stand Tunisie au 31e Salon du Livre de Paris.
Arabian People : Votre dernier livre, que vous avez dédicacé au Salon du livre de Paris, donne une vision très rafraîchissante du regard qu’un jeune garçon avait, à l’époque, sur son univers pied-noir, sur la France. S’agit-il de vos réminiscences, de vos souvenirs de petit garçon ou est-ce un regard plus généraliste sur la société algérienne qui surgit à travers ce livre ?
Djilali Bencheikh : Vous faites sans doute allusion à « Tes yeux bleus occupent mon esprit » ? En fait, ce n’est pas le dernier mais l’avant-dernier ... De toute façon, tous mes ouvrages, je les bâtis, les construis et les pétris à partir de la glaise, de la pâte de mes propres souvenirs, de mon propre vécu. Mais ce n’est pas une autobiographie intégrale. Parce que ma vie n’est pas intéressante à raconter ! (rire) Mais j’ai assisté à des épopées historiques intéressantes, instructives, passionnantes. En l’occurrence, « Tes yeux bleus occupent mon esprit » se passent entièrement pendant les sept années de la guerre de libération et, en même temps, pour l’enfant, l’adolescent plutôt que j’étais, cette période-là correspond à sept années d’internat que j’ai passées dans un bahut d’Algérie, « du temps de la France » comme on dit. Là-dessus, j’ai construit une histoire d’amour impossible entre un petit Algérien – qui pouvait être moi ou quelqu’un d’autre – et une Française aux yeux bleus magnifiques. Je raconte leurs origines sociales, le contexte de la guerre ; elle, fille d’un officier français, lui, fils de paysan et très nationaliste. Il est obligé de mentir sur ses origines sociales ; son père étant effectivement paysan, un journalier comme on disait, elle lui demande ce que fait son père, il répond « journaliste ». Le pire, c’est qu’elle le croit. Et évidemment, cela a été une sorte de prédestination puisque je suis journaliste aujourd’hui. Donc, ce sont bien des souvenirs personnels mais cette histoire aurait pu être vécue par n’importe qui...

Mon écriture, ce sont deux choses : premièrement, faire plaisir au lecteur, ne pas l’ennuyer. Je suis un lecteur tellement passionné que si l’on m’enlève les livres, je me meurs. Il m’est arrivé, à l’internat, quand on éteignait les lumières, de lire à la lumière de la lune : un jour, mon frère m’avait surpris à lire à la lumière de la lune car je n’avais plus de piles dans ma lampe électrique sous les draps. Je pense au lecteur pour son plaisir et je lui bâtis une histoire agréable où il y a du suspens.

J’ai aussi une deuxième intention, celle de laisser non pas un message mais des traces, des images documentaires pour les futures générations, celle d’aujourd’hui, celles de demain. Quand un jeune d’aujourd’hui lira « Tes yeux bleus occupent mon esprit », il aura des images très précises, beaucoup plus précises et concrètes sur la guerre d’Algérie sur les relations politiques, humaines, etc. pendant le colonialisme, qu’un cours d’histoire fastidieux, avec des dates, des chiffres, des noms de martyrs, qui risquent d’ennuyer un apprenti, un collégien. Je pense qu’avec une histoire romanesque, les images se fixent plus facilement. Voilà ma contribution aux patrimoines universel et algérien.

Arabian People : Nous avons l’habitude de poser la même question à la fin d’une interview : si vous deviez vous définir par un seul mot, quel serait-il ?
Djilali Bencheikh : Il y a, en fait, deux mots qui me sont très chers -que je vais vous dire puisque je serais obligé de choisir-, c’est « volupté » et « tendresse ». Je choisis la tendresse. Pourquoi ? C’est la « hanana » quelque part, c’est une philosophie de la vie ; ça contient de l’amour au sens classique du terme, de l’amour au sens féminin si on peut dire de séduction ; ça contient la tolérance de l’autre. Mon souci à travers ce mot, à travers ce comportement, c’est d’en finir avec les rapports heurtés, brutaux ; en finir avec l’égoïsme. J’ai toujours été contre l’individualisme, les gens qui parlent d’eux-mêmes ... Je crois que l’humilité est une des caractéristiques fondamentales qui manque à l’être humain. Qu’est-ce que l’humilité ? Ce n’est pas la modestie – ne confondons pas - mais une forme de comportement sur lequel les autres s’arrêtent. Cela veut dire que ce n’est pas vous-même qui allez faire votre propre publicité, votre propre promotion ; vous avez la décence d’attendre que ce soit les autres qui disent qu’Untel est gentil, Untel est intelligent, etc. Et non pas vous-même qui faites votre autopromotion.
Après ça, la tendresse avant tout. Quand je fais mes dédicaces, par exemple, régulièrement et souvent, je finis, quelles que soient les personnes, proches ou pas, par un peu de tendresse à la fin.

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(1) L'auteur qui a publié, entre autres, "Mon frère ennemi" (Ed. Séguier), a été récompensé par le Prix Maghreb de l'Association des Ecrivains de langue française pour son roman "Tes yeux bleus occupent mon esprit".

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