mardi 21 février 2012

Entretien avec Malek Bensmaïl, le réalisateur de La Chine est encore loin (2e partie)


Malek Bensmaïl.Avec l'aimable prêt du cinéaste.
Reproduction interdite.

Zahra Maldji a rencontré, à Paris, Malek Bensmail, le réalisateur du film La Chine est encore loin. Il s’agit d’une première car cette interview est présentée aux lecteurs dans le cadre d’une collaboration rédactionnelle entre Lalla Ghazwana (1) dont Zahra Maldji est administratrice, et Arabian People & Maghrebian World. Après une première partie consacrée à "L'Histoire face à la réalité", cette interview se poursuit avec le regard du cinéaste sur les enfants, "acteurs" du documentaire.


« Une errance, c’est un mouvement de violence »

Zahra Maldji : Pour en revenir au film et au village, comment avez-vous été accueilli par les habitants et quelles ont été vos relations avec eux ?
Malek Bensmail : Cela a pris beaucoup de temps, une année, j’ai tourné quatre saisons. Je suis d’abord passé par le biais des enfants dans l’école, c’était très important. J’ai vraiment commencé à tourner les premières saisons à l’école. Ils m’ont ouvert petit à petit toutes les portes des maisons du village, qui étaient fermées, parce qu’ils ont vu que l’on était beaucoup avec les enfants, que nous vivions comme eux, que nous mangions comme eux, que nous allions à la cantine. Peu à peu, les choses se sont mises en place et ils nous ont accueillis dès qu’ils se sont sentis en confiance. Cela a été absolument génial, ils nous ont protégés parce qu’il y avait, tout même, des problèmes de sécurité. Pour moi, cela a été une très belle année.

Zahra Maldji : Quand on regarde le film, on n’a pas l’impression qu’il y a une caméra, que ce soit derrière les enfants ou derrière les adultes. Ils sont libres de leurs mouvements, de leurs regards, que ce soit dans l’école ou à l’extérieur, dans le village. Comment avez-vu réussi à obtenir cela ? A aucun moment, on n’imagine qu’il y a quelqu’un avec une caméra.
Ahmed et les autres dans La Chine est encore loin.
Avec l'aimable prêt du cinéaste.
Reproduction interdite.
Malek Bensmail : Ça, c’est le temps. Vous savez, lorsqu’on a passé une année, les quatre saisons, c’est vrai que les premiers mois, ils regardaient beaucoup la caméra. Ce que je fais généralement lorsque je tourne un film, au sein d’une institution, en tout cas, je fais en sorte que les gens censés jouer puissent manipuler eux-mêmes le matériel. Déjà, pour démystifier le matériel, les caméras, les micros, etc. C’est ce que j’ai fait avec les enfants. Et dans un deuxième temps, j’ai laissé même les regards que j’ai enregistrés, leurs rires face à la caméra lorsqu’ils disent « Algérien » quand on leur demandait leur nationalité. C’était aussi pour les apprivoiser et pour qu’ils puissent, eux aussi, nous apprivoiser. Cela, c’est très important. Ainsi, au fur et à mesure que le temps passait, eh bien, ils se sont habitués. Ils ont démystifié l’équipe, la caméra et, parfois, je vous assure, quand j’étais à peine à 50 mètres, je faisais de gros plans, ils m’avaient oublié totalement. Je ne voulais pas être transparent, je faisais en sorte qu’ils sachent qu’on tournait. Nous leur étions devenus sympathiques et de voir l’équipe tous les jours, au bout d’un moment, elle a fini par faire partie du décor. A mon avis, pour eux, cela a été une belle année parce qu’ils ont vu du matériel de cinéma, qu’ils ont rencontré un ingénieur du son, qui était Iranien, le directeur de la photo ; ils ont discuté avec une équipe, donc, pour eux, cela a été génial. Ce fut une très belle expérience pour eux.

Zahra Maldji : Les enfants sont très beaux, vraiment magnifiques et, par ailleurs, vous avez des personnages qui sont très haut en couleurs, très attachants, qui sont extraordinaires  comme celui qui se fait appeler « l’émigré » ainsi que Rachida, la femme de ménage de l’école.
Malek Bensmail : Tous les personnages secondaires se sont dessiné un petit peu dans un second temps. Dans un premier temps, je me suis concentré sur les principaux personnages, les deux enseignants et les élèves, c’était important de bien cadrer cela. Et peu à peu, je me suis dit que ce n’était pas suffisant, il fallait un miroir. La transmission à l’école n’est pas suffisante, il faut qu’il y ait le miroir du village et donc je me suis tourné sur le village et j’ai cherché des personnages secondaires. Il y a eu le frère de Basma, qui est le vrai chaoui mâle, ensuite, Messaoud, que j’ai vu errer sur la route et qui venait prendre des cafés avec nous et parler de tourisme. Il n’avait jamais émigré de sa vie ; c’est quelqu’un qui était là, qui a fait une décompensation en psychiatrie et, pendant les années de terrorisme, il n’a plus vu venir de cars de touristes. Il ne pouvait plus vivre du tourisme et s’était installé avec ses parents et il n’est pas sorti du village depuis quelques années et vivait en vase clos avec ses parents ; il cultivait un petit potager. C’est le médecin qui m’a appris qu’il n’avait jamais émigré, seulement, il ne sortait plus et personne ne le voyait. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup touché, c’est-à-dire qu’il était un peu nous. Je trouve qu’il nous représente comme une sorte de personnage qui n’est plus dans les rangs, qui est dans l’errance. Comme nous, qui sommes en « exil » économique, politique, ou autre. Une errance, c’est un mouvement de violence, je trouve. Et quand on voit les « hitistes » contre un mur, c’est un mouvement de violence. Je vois tous ces groupes de jeunes adossés aux murs ; ils parlent tous de la même chose : c’est l’envie d’une vie meilleure, d’un autre cadre, de travailler, d’avoir une chance, de vivre tout simplement. Messaoud, lui, à sa manière, a gardé son espace matrimonial. (à suivre)

Propos recueillis par Zahra Maldji

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