Malek Bensmaïl.Avec l'aimable prêt du cinéaste. Reproduction interdite. |
Zahra Maldji a
rencontré, à Paris, Malek Bensmail, le réalisateur du film La Chine est
encore loin. Il s’agit d’une première car cette interview est présentée aux
lecteurs dans le cadre d’une collaboration rédactionnelle entre Lalla Ghazwana
(1) dont Zahra Maldji est administratrice, et Arabian People & Maghrebian
World. Après une première partie consacrée à "L'Histoire face à la réalité", cette interview se poursuit avec le regard du cinéaste sur les enfants, "acteurs" du documentaire.
« Une
errance, c’est un mouvement de violence »
Zahra Maldji :
Pour en revenir au film et au village, comment avez-vous été accueilli par les
habitants et quelles ont été vos relations avec eux ?
Malek Bensmail :
Cela a pris beaucoup de temps, une année, j’ai tourné quatre saisons. Je suis
d’abord passé par le biais des enfants dans l’école, c’était très important.
J’ai vraiment commencé à tourner les premières saisons à l’école. Ils m’ont
ouvert petit à petit toutes les portes des maisons du village, qui étaient
fermées, parce qu’ils ont vu que l’on était beaucoup avec les enfants, que nous
vivions comme eux, que nous mangions comme eux, que nous allions à la cantine.
Peu à peu, les choses se sont mises en place et ils nous ont accueillis dès
qu’ils se sont sentis en confiance. Cela a été absolument génial, ils nous ont
protégés parce qu’il y avait, tout même, des problèmes de sécurité. Pour moi,
cela a été une très belle année.
Zahra Maldji :
Quand on regarde le film, on n’a pas l’impression qu’il y a une caméra, que ce
soit derrière les enfants ou derrière les adultes. Ils sont libres de leurs
mouvements, de leurs regards, que ce soit dans l’école ou à l’extérieur, dans
le village. Comment avez-vu réussi à obtenir cela ? A aucun moment, on
n’imagine qu’il y a quelqu’un avec une caméra.
Ahmed et les autres dans La Chine est encore loin. Avec l'aimable prêt du cinéaste. Reproduction interdite. |
Zahra Maldji :
Les enfants sont très beaux, vraiment magnifiques et, par ailleurs, vous avez
des personnages qui sont très haut en couleurs, très attachants, qui sont
extraordinaires comme celui qui se fait
appeler « l’émigré » ainsi que Rachida, la femme de ménage de
l’école.
Malek Bensmail :
Tous les personnages secondaires se sont dessiné un petit peu dans un second
temps. Dans un premier temps, je me suis concentré sur les principaux
personnages, les deux enseignants et les élèves, c’était important de bien
cadrer cela. Et peu à peu, je me suis dit que ce n’était pas suffisant, il fallait
un miroir. La transmission à l’école n’est pas suffisante, il faut qu’il y ait
le miroir du village et donc je me suis tourné sur le village et j’ai cherché
des personnages secondaires. Il y a eu le frère de Basma, qui est le vrai
chaoui mâle, ensuite, Messaoud, que j’ai vu errer sur la route et qui venait
prendre des cafés avec nous et parler de tourisme. Il n’avait jamais émigré de
sa vie ; c’est quelqu’un qui était là, qui a fait une décompensation en
psychiatrie et, pendant les années de terrorisme, il n’a plus vu venir de cars
de touristes. Il ne pouvait plus vivre du tourisme et s’était installé avec ses
parents et il n’est pas sorti du village depuis quelques années et vivait en
vase clos avec ses parents ; il cultivait un petit potager. C’est le
médecin qui m’a appris qu’il n’avait jamais émigré, seulement, il ne sortait
plus et personne ne le voyait. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup touché,
c’est-à-dire qu’il était un peu nous. Je trouve qu’il nous représente comme une
sorte de personnage qui n’est plus dans les rangs, qui est dans l’errance.
Comme nous, qui sommes en « exil » économique, politique, ou autre.
Une errance, c’est un mouvement de violence, je trouve. Et quand on voit les « hitistes »
contre un mur, c’est un mouvement de violence. Je vois tous ces groupes de
jeunes adossés aux murs ; ils parlent tous de la même chose : c’est
l’envie d’une vie meilleure, d’un autre cadre, de travailler, d’avoir une
chance, de vivre tout simplement. Messaoud, lui, à sa manière, a gardé son
espace matrimonial. (à suivre)
Propos recueillis par Zahra Maldji
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