mardi 12 juillet 2011

Sidi Tahar Haddad ou la Crucifixion de l’innovateur dans le monde arabe (3e et fin)

Tahar Haddad
Par Moncef Bouchrara

Comme annoncé, lors des première et seconde parties de ce dossier, Arabian People & Maghrebian World a proposé une étude partielle mais non des moindres de Moncef Bouchrara, sociologue et philosophe tunisien mais aussi ingénieur-conseil, consultant international spécialisé dans les questions de l’emploi en Méditerranée et enseignant pendant près de trente ans en Tunisie.

Nous arrivons à la fin de cette publication partielle sur le penseur, syndicaliste et poète tunisien, Tahar Haddad, qui, nous l’espérons, aura donné matière à beaucoup de réflexions sur la société sous l’angle culturel du Maghreb et du Monde arabe, cet aspect étant une étape extrêmement importante dans la réflexion globale des sociétés démocratiques émergentes ou, à tout le moins, en espérance de mutations. Ce quatrième et dernier chapitre se penche sur le devenir via une réflexion sur le rôle des femmes dans ces nouvelles sociétés avec ce que l’auteur entend par les « consensus culturels et sociaux arabes autour de valeurs fondamentales nouvelles » et, a fortiori, en fonction des « nouvelles formes de maternances, des maternances non seulement biologiques, mais aussi des maternances sociales et culturelles », selon les termes propres de Moncef Bouchrara.

Le lecteur pourra prendre contact avec l’auteur via le contact mis en fin de lecture.


IV - Pourquoi « Sidi » Tahar Haddad ? Le rôle des femmes dans l’émergence d’une Nouvelle société arabe

Quand et surtout comment abandonnerons-nous les critères de jugement qui ont abouti à la crucifixion de Tahar Haddad, à la véritable « via dolorosa » qu’il a connue de 1930 à 1935. Comment pourrons-nous changer notre manière de nous juger ? C’est en cherchant la réponse à ce genre de questions, que nous pourrons parvenir à payer notre dette vis-à-vis de Tahar Haddad et à racheter le crime commis quotidiennement contre ses semblables.

C’est dans cette perspective, que les dernières lignes de cet article seront encore une fois et toujours dédiées à Sidi Et-Tahar El Haddad. Je dis sciemment « Sidi » (Maître) parce qu’il est mon maître, notre maître à tous, et que l’islam dans sa doctrine première ne reconnaît la maîtrise et la supériorité qu’à celui qui nous apprend la science. En le qualifiant de Sidi, je pratique l’exercice du Tamjid (1) à son égard. J’en fais un illustre parmi les illustres. Un Majed (2) parmi les Amjed (2).

Car il se trouve que Tahar Haddad nous aura appris à tous plus que la science et nous aura transmis plus que le savoir. Tahar Haddad nous aura appris à être, à apprendre à être tout simplement. A chacun de nous, il aura appris à être un aristocrate. En tant que communauté, il a ouvert la voie à « une république d’aristocrates » et non à « une république sans individus ». En tant que fils de quelqu’un et père de quelqu’un, je lui dois plus que mon nom. Je lui dois mon savoir être humain dans le monde, je lui dois ma qualité d’être doué d’une part consciente d’universel. C’est cette qualité d’être, qui fait, qui m’a appris à faire valoir la spécificité d’un nom, d’un être unique, non substituable par un autre, à cause de sa créativité spécifique aux résultats potentiels toujours inattendus et imprévisibles. Cet individu, quand il est valorisé sous cette qualité là, est, non jetable ou supprimable à merci, tant physiquement que psychologiquement. Les Droits de l’Homme sont artificiels et sont un leurre dans une société qui ne valorise pas les individus par leur créativité. Sidi Et-Tahar El Haddad est et reste notre père symbolique, toujours à légitimer, et il reste aussi, et malheureusement encore, notre frère aîné de l’amertume. Un saint rêvant à l’aristocratie de tous, un saint laïque qui a été isolé par toute la communauté ou presque, qui a été insulté par tous, tous les jours, pendant cinq années, jusqu’à sa mort.

Gardons-les toujours en mémoire cette image réelle, ce film réel de la fin de Sidi Et-Tahar El Haddad, qui était physiquement agressé, quand il marchait dans les rues de Tunis de 1930 à 1935, cible de jets de tomates et de pierres. Gardons-la donc toujours en mémoire cette anecdote vécue et terrible de   Sidi Et-Tahar El Haddad qui demandait un simple verre d’eau à un garçon de café, et qui n’était même pas servi, dans un pays désertique où la soif ordonne comme tradition fondamentale, de ne jamais refuser de donner à boire.

A Sidi Et-Tahar El Haddad, donc, nous dédions ces quelques lignes, aujourd’hui, comme étant une tentative, pour que notre propre ijtihad (cf. note de la Rédaction) individuel rachète le crime collectif commis à son égard par nos grands-parents.

Sidi Et-Tahar El Haddad, avec l’espoir que ces quelques lignes, rachètent les crimes quotidiens que continue toujours à commettre la société arabe, contre tous les Tahar Haddad en son sein,

A   Sidi Et-Tahar El Haddad  , enfin, avec l’espoir surtout, que ces quelques lignes soient lues un jour par une société arabe qui aura osé et inventé, par elle-même, non seulement de nouvelles mentalités, mais aussi et surtout de nouvelles frontières de la tendresse, une tendresse sociale qui ne rejette pas la part de créativité, inhérente à chaque individu. Un espoir que ces quelques lignes seront lues par une société qui aura réussi et appris, enfin, à entourer tous ses Tahar Haddad, tous ses innovateurs, de la tendresse qu’ils méritent. Car les tendresses civiles seront toujours supérieures à toutes les largesses d’Etat.

"Les femmes au regard de la Loi
et dans notre société"
de Tahar Haddad
Cette nouvelle tendresse sociale, cette nouvelle tendresse culturelle, plus qu’on ne l’imagine, les femmes y tiendront un rôle premier. Car cette nouvelle frontière de l’acceptation de l’innovateur, cette tendresse devront commencer à se déployer avant même l’étape de la scolarisation, dès la naissance et l’enfance même de l’innovateur, par un regard nouveau et une attitude différente de la part de sa propre mère biologique.

Tout recommencera par les filles et les femmes tunisiennes. C’est le jour où les mères tunisiennes, en particulier, apprendront enfin à leurs enfants à ne pas avoir peur de leurs propres capacités créatrices, à ne pas avoir peur de précéder plutôt que de suivre, c’est ce jour-là, que les femmes tunisiennes, paieront leur véritable dette vis-à-vis de Tahar Haddad, à leur père symbolique, à qui elles doivent tant aujourd’hui, et pourront prétendre enfin, à être ses filles légitimes.
Ce jour-là, ces quelques lignes seront dépassées, en définitive, par une société qui aura inventé de nouvelles formes d’être et qui aura inventé de nouveaux féminismes parce qu’elle aura inventé de nouvelles formes de maternances, des maternances non seulement biologiques, mais aussi des maternances sociales et culturelles. Ce jour-là, peut-être, ces quelques lignes seront lues par une société qui osera être la mère de l’innovation et du changement.
Moncef Bouchrara

Note : Pour recevoir l’étude complète sur Tahar Haddad et faire part de vos réactions, adresser un mail à : moncef.bouchrara@wanadoo.fr
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Note : « ijtihad » à ne pas prendre dans le sens péjoratif qui lui est donné actuellement mais dans le sens des termes « effort sur soi ».
 (1) Tamjid : célébration, glorification.
(2) Majed, Amjed : illustre(s), glorieux - Déjà expliqué dans l'article.

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