dimanche 17 juillet 2011

Ambivalence ou continuité : le peintre Hamid Tibouchi vs le poète Hamid Tibouchi

"Traité de navigation", pigments, encre
et collage papier. Hamid Tibouchi.
Le peintre algérien Hamid Tibouchi a écrit quelque part qu’il avait le mal de mer mais d’une certaine manière il a un « navire » propre à lui : son atelier. C'est ce que nous transmet comme image sa série de peinture intitulée «Traité de navigation», tableaux qui ont été en exposition, en 2009, à la galerie Europia de Paris ...

Imaginez ce marin d’un autre style, le sien propre, surnageant par-dessus les vagues de tous les matériaux qu’il aura collectés, par curiosité de l’objet surprenant dans sa forme et sa texture et dans la perspective de ce qu’il en ferait un jour.

Le poète qu’il est également, je l’aurai connu dans une autre vie, par-dessus la Méditerranée, à la fortune de ses textes lus ça et là alors que nous étions, séparément et en d’autres lieux l’un et l’autre dans le même univers poétique avec cette différence que Hamid Tibouchi avançait déjà à grandes enjambées  sur cette voie  (Cinq dans tes yeux, sous le pseudonyme de H. Targui, en autoédition ; Mer ouverte aux éditions Caractères). Un lien nous unissait aussi malgré nous, par-delà la poésie et dans la poésie : celui de l’un des chantres algériens, inoubliable, le magnifique Jean Sénac, disparu hélas en de sanglantes circonstances.

Ce Hamid Tibouchi-là, j’en ai connaissance mais ce qui fut le plus surprenant dans ma redécouverte du poète, c’est de trouver à la place un peintre, un artiste ayant trempé non plus sa plume mais un pinceau dans la source de la créativité.

La série du « Traité de navigation » – plus d’une trentaine de toiles – nous fait voyager sur la mer du parcours d’un poète déjà talentueux certes mais qui donne encore plus avec sa palette de couleurs et sa « bourlingue » faite de textures, de colle, de papier revisité et d’un regard portant loin, aussi loin que le permet son « Traité de navigation ».

"Traité de navigation", pigments, encre
et collage papier. Hamid Tibouchi.
L’encre du verbe est heureusement toujours la même, elle prête ses pigments à la lecture sous une autre vision et le grand voyage du peintre-poète nous  entraîne à travers un périple d’expositions vivantes incidemment parcourues par ces « Peintures en boules » sorties de son capharnaüm coloré et c’est sur une terrasse, qu’il repêchera ces peintures froissées et roulées en boules : elles étaient, écrira-t-il, « comme des fossiles, tous les secrets de la création, tous les états d’âme de la navigation en solitaire »...

... une longue conversation avec soi-même, plus qu’une révélation de soi-même, que ces « Peintures en boules »...

Une peinture en envolées d’un lyrisme abrupt comme sa série « Toughra à la trace », ocre et sauvage, en coups de spirales évocatrices d’écritures transcendantes, en couvertures de carnets que nous souhaiterions ouvrir parce qu’ainsi (peut-être), Hamid Tibouchi sortirait de son atelier comme un extraordinaire animal en hibernation, faisant son offrande à la nature qui lui donne ses lumières dans ses visions et son moi intérieur délivrant des choses du peintre et du poète, non pas en parcimonie mais plutôt en fragmentations qu’il nous faudrait recoller alors afin de trouver la piste des secrets cachés...

... et lui qui dit avoir le mal de mer, n’écrira-t-il pas dans Mer ouverte, ces superbes vers que nous ne livrons que partiellement :

« La mer qui grouille au loin
La mer, insectes bleus pressés aux élytres vernis par le soleil
La mer miroir aveugle où broutent les goélands
Être la barque qui rampe sur l’eau
Être le sillon de la barque
Être la voile gonflée par le vent être la mouette qui suit la barque l'aile de neige palpitante
Être le duvet qui caresse la joue du ciel être la brise qui coule sur la mer être la rivière qui court vers la mort
Être le temps qui fait bouger tout ça et s'arrêter au matin d'un été pour contempler à son aise la mer,

[...]

Ni chants ni pleurs
Dans la trame vasculaire
"Traité de navigation", pigments, encre
et collage papier. Hamid Tibouchi.
Que tisse la pointe de l'aiguille rumeurs lointaines et proches motocyclettes bravant d'invisibles monstres la vie se coule dans la vague incertaine crescendo rétrograde dans l'instant qui se fige entend la nuit invisible
Elle s'infiltre telle une intruse en un largo imperceptible
Dans notre univers qu'elle habite encore une goutte de nuit

[...]

On aimerait y barboter comme les oiseaux
Le cri de l'oiseau délivré fleur qui s'ouvre
Eblouie par l'éclat de midi rencontre de lèvres jeunes avides de l'instant qui passe
Le firmament a un goût de lavande, coule sous la peau le sang chaud
Sur l'herbe tiède ».

A la périphérie de ces vers où « la vie se coule dans la vague incertaine », s’inscrivent les signes d’un autre long voyage qui viendront s’apposer, par la suite, sur le crissement de la toile en attente comme « le cri de l’oiseau délivré »...


F. C-A.


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