dimanche 20 janvier 2013

De la musique savante (1ere partie)




Orchestre irakien de chalghi baghdadi
Cet article n'est pas une ouverture au débat. Il n’est pas non plus une étude sur la musique savante, de telle ou telle école musicale, telle musique – andalouse, maqâm, mouchawwah, chalghi baghdadi – et qui serait un véritable apport, épurant la musique savante de tous les agrégats que nous connaissons dans notre sphère culturelle, depuis le Maroc jusqu'en Turquie et, bien sûr, sans discrimination aucune. Ce n’est pas l’objectif de cette incursion présentée en deux parties.

Cet article est un prélude à une réflexion sur la musique savante dans le Monde arabe et le Maghreb ou sur ce qu'il est convenu d'appeler « musique savante » au lieu de « musique traditionnelle » laquelle, d'ailleurs, est d’un tout autre registre ...

 Abdu al-Hammuli
Prélude qui exige une courte pause sur la définition, en premier lieu, du mouvement de la Renaissance arabe ou Nahda – qui est intimement liée à la musique savante dont on a un aperçu aujourd’hui - avec cette préface à un dossier consacré à "La Nahda et la musique en Egypte" (Les Cahiers de l'Orient", N° 24, 1991) :

"Le mouvement de la Nahda (Renaissance) a investi l'univers musical à travers deux figures qui ont dominé la scène artistique égyptienne de la deuxième moitié du XIXe siècle. 'Abduh al-Hâmulî (1849 ?-1901) et Muhammad 'Uthmân (1855-1900). Ces deux maîtres de l'art vocal sont en effet, les initiateurs du deuxième "âge d'or" de la musique d'art arabe. Secouant la torpeur dans laquelle s'est installé l'Orient musical, leur génie créatif a permis d'intégrer de nombreux éléments des différentes musiques en cours au Proche-Orient dans un moule de musique d'art égyptienne. C'est ainsi que, dans une atmosphère de fraternelle émulation, ils donnèrent au dawr, à la qasîda et au mawwaâl (principales formes du répertoire vocal improvisatif) leurs lettres de noblesses, y déployant leur immense talent de compositeur, ainsi qu'une inventivité instantanée de chanteur hors pair. Leurs trouvailles mélodiques, leurs variations, leurs improvisations et leur expressivité émotionnelle ont marqué le monde arabe pendant deux générations. C'est notamment à travers les enregistrements de leurs collègues et disciples, constituant une sorte "d'Ecole hâmulienne", que leur legs nous est parvenu.

'Abudh al-Hâmulî et Muhammad 'Uthmân sont décédés à l'aubre de notre siècle (12 mai 1901 pour Hâmulî et 17 décembre 1900 pour 'Uthmân). Ces dernières années, avec la réédition et la rediffusion d'archives sonores ** de "l'Ecole hâmulienne", et l'émergence d'une jeune génération de musiciens désireux de renouer avec une stylistique et une esthétique profondément traditionnelles et créatives, on a assisté à un regain d'intérêt du public pour la "belle époque" de la musique arabe, permettant l'amorce d'une reconnaissance de cet art."

Deux choses viennent à l'esprit et qu’il n’est pas question d’appuyer par une avalanche d'exemples théoriques - d'abord, parce qu’Arabian People & Maghrebian World n’a pas l'ambition de se présenter comme théoricien de la question, ensuite ce domaine est si grand qu’il faudrait y consacrer quelques volumes. La première idée, c’est que les « théoriciens » de la musique savante auraient tendance à sacrifier légèrement plus à l’exotisme qu’à de réelles tentatives de travail d’écriture d’une musique savante jusque-là transmise par l’art de la Répétition et d’asseoir ce patrimoine à l’intérieur de petits cercles fermés qui se sont appropriés cette musique d’une rare richesse.

Ces cercles fermés sont à semer le doute plus qu'à rallier les opinions, à l'exception de quelques-uns qui sont restés dans l’ombre ou ne sont plus de ce monde et cela depuis bien des lustres, pour ne citer que Ziryabal-Farabi ou al-Kâtib. En effet, seraient-ils des interprètes honorables, la finalité est plus d’utiliser à des fins pas toujours très claires ce créneau abandonné par les gouvernants des pays du Monde arabe et du Maghreb. Les intérêts étant, pour les uns, de se placer comme les sauveurs de cette musique, et pour les autres, de préférer une culture appauvrie, empêtrée de scories sous prétexte de modernité, d’ouverture vers les autres cultures que ces mêmes gouvernants ont élevé au panthéon de l’excellence, laissant celle dont ils sont la responsabilité entre les mains des pilleurs de la culture du Monde arabe et du Maghreb qui y excellent -nous devons objectivement le reconnaître- et qui disent le faire pour le bien de ce patrimoine mondial. Parce que le Monde arabe et le Maghreb brillent, eux, par leur absence. 

L'autre réflexion est que l’on pourrait se désoler de ne plus entrevoir exister ces rapports privilégiés entretenus, avant un certain congrès de la musique au Caire, entre maîtres et disciples. Ainsi, une fois un cadre institutionnel codifié et établi, quoi que l’on affirmât le contraire, cela a abouti à la désagrégation de ce suprême sommet de l'art finement ouvragé, dans l'esprit même de ce qui avait antérieurement été la Musique, un pur esprit combinant les mouvances helléniques, turques, persanes, indiennes, arabes et andalouses. Bien entendu, on ne se trouve pas sur un terrain complètement déserté car, malgré tout, certains continuent d’entretenir ces rapports et c’est cela qui sauvera peut-être la musique savante du Monde arabe et du Maghreb.
 
Nous disons « peut-être » car le chantier est gigantesque et rattraper les dommages faits en moins d’un siècle, peut s’avérer ardu.

Nous venons au monde avec ce simple cri du nouveau-né lancé à pleins poumons, pour aborder les rivages mystiques d'un savantissime étalement de notre moi intérieur, divinement accordé avec une technicité de grande envolée. Oui, tout au plus, pourrait-on exalter des regrets sur ce qui fut entre la musique et sa mémoire collective, entre cet ensemble et sa propre histoire passée et à venir. Au mieux, pourrait-on détourner l'oreille des résonances tapageuses sous prétexte d’enrichissements, d’introduction à d’autres sons originaux, selon les aléas d'un piano, d'un accordéon, d'une guitare électrique violemment intégrés dans une échelle modale qui n’a pas été générée par ces sonorités et que sais-je encore !

Depuis 1932, l’univers de la musique savante ne fut plus jamais le même, l’intrusion de l’Autre [musique] venu contrecarrer son génie créateur par le colonialisme. Avec celui-ci et c’est tardivement, à son déclin, que le Monde arabe et le Maghreb entendent les grands noms de Verdi, Mozart, Beethoven, Cherubini et, plus modernes, de Gershwin, Duke Ellington, Scott Joplin (qui écrira un opéra bien qu’il soit connu pour son ragtime) ou à des compositeurs de musique classique contemporaine comme John Cage, Igor Stravinski ou Pierre Boulez.

Dans sa propre sphère, oui, certes, il y a eu ses défenseurs. La musique savante connaît à la fois le panthéon qui l’y emprisonne pour en faire une musique intouchable, jouée, louée, défendue par ces mêmes cercles fermés, mentionnés plus haut et qui comptent, parmi leurs commensaux, des théoriciens de la sphère occidentale. 
La question à poser est alors : sont-ils en train de « sauver » le patrimoine parce que nous sommes inaptes à le faire ?

Oui, d’une certaine manière, les premiers concernés sont arrimés, par la politique de leurs gouvernants, au rocher de l’indigence culturelle et, de ce fait, répugnent à s’inscrire dans un projet de mise en partitions de cette musique si belle : elle n’est pas écrite et la transmission par l’art de la répétition est aléatoire parce qu’elle n’est pas fixée, soit parce qu’elle se base sur l’improvisation, soit parce qu’elle est objet de paresse culturelle. Pourtant, rien n’est impossible : fixer l’échelle modale sans lui enlever le pouvoir de l’improvisation.

(à suivre)
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** archives sonores constituées en CD, tentatives qui, malheureusement, ne sont pas le fait des pays concernés, mais par ce que l’on pourrait qualifier d’"orientalistes de la musique savante" ... et si des musiciens et interprètes du Monde arabe et du Maghreb tournent de nouveau leurs regards vers ce patrimoine, certains ne pensent même pas mettre en écriture les compositions qui ne nous sont parvenues que par le biais d'archives sonores, car il n'y a pas de partitions musicales - l'art répétitif étant en perdition en effet, que les jeunes interprètes répugnent à écrire les pièces existantes car « trop difficiles ».

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