Cheikh al-Manyalawî et son orchestre. |
Le souffle de l’âme
Ainsi, à l’intérieur de leurs
frontières et malgré cet âge d’or qu’est la Nahda, le Monde arabe et le Maghreb
se sont liquéfiés territorialement, politiquement, économiquement et
culturellement et la musique deviendra un petit marché sans consistance, sauvée
à petites doses par des tentatives de compositeurs mais plus d’interprètes avec
le cheikh al-Manyalawî (écouter dans Les musicales d’Arabian People
& Maghrebian Word, colonne gauche) ou comme Munir Bashir, Muhammad
al-Qubanji, Sami Chawwa, le cheikh Larbi Bensari, Mohamed El Kourd, et plus
près de nous, Naseer Shamma, Lotfi
Bouchnaq, Fawzi Sayyeb (disparu en 2010, à l’âge de 81 ans), ou bien, du côté des interprètes féminines, Munira
Mahdiya, dite la Sultane, Um Kalthûm dite Kawkab ech-charq, Fadéla Dzirya, avec sa légèreté vocale de «hadria» algéroise (disparue,
en 1970, à l’âge de 53 ans), qui laissera la place vide pour cette musique bien
particulière et dérivée de l’andalou, et, aujourd’hui, Bahija Rahal, interprète
de la musique andalouse algérienne ('oud et chant).
Sami Chawwa. |
A l’extérieur de ces «frontières», pour ne citer
qu’un seul, il est un grand nom, celui d’Amir Khusraw (mort en 1325), né de
parents turcs en Hindoustan et très influencé par la culture hindie.
Auteur de trois volumes sur la musique, traite dans son
troisième volume de la rhétorique et du style littéraire Rasa’il
al-i’jâz, dont un Discours sur la différenciation dans les principes
fondamentaux et la filiation de la musique (Inshi’âb ‘usul wa fuû’-i musiqi) : «La musique est une science (‘ilm), de très vaste portée et de nature
extrêmement technique. Les subtilités de cette science sont trop délicates pour
être maîtrisées par un individu. Ses principes ont été définis au début par les
savants de Rum (philosophes grecs et byzantins). La théorie des modes
rythmiques (usul ‘ilmi’) est importante : el usul s’étend sur quatre, le
pardah sur douze et l’ibresham sur six ans ; ce sont les bases, tout le
reste étant des modes (branches ou furu’) qui sont leurs dérivés».
Les modes cités par Amir khusraw - Ibresham, Si-pardah, Sara-pardah, Dastak, Khafif, Usul i thaqil (les rythmes), Basit, Zir-i khirad et Zir-i buzurg
- étaient parfaitement connus des musiciens arabes de l'époque.
Peut-être se trouve-t-il dans les
petites oasis de la musique, ceux qui voudront, ont l’espoir de vivifier cette
musique savante, de la faire perdurer, de la pérenniser, de l’écrire même si
elle est avant tout de transmission orale.
Il est plus que temps de se
préoccuper de son écriture que de ses enregistrements qui sont plus un apport
historique et ethnologique, certes non négligeable et qu'il faut prendre en compte (Colloque Un
siècle d'enregistrements, matériaux pour l'étude et la transmission http://www.upa.edu.lb/fileadmin/user_upload/Media/Images/Unites_Univeraitaires/Musique/Colloque%20Un%20si%C3%A8cle%20d'enregistrements%20-%20Programme%20d%C3%A9taill%C3%A9.pdf)
Il s’agit de mettre en place de
véritables laboratoires réunissant des interprètes du Monde arabe et du
Maghreb, un symposium qui redressera les dérives du congrès de 1932 et
s’attellera à écrire toutes les pièces jouées et chantées jusqu’à présent : non pas celles qui seront composées à partir de 1932 mais celles
antérieures à la rencontre du Caire. Ce projet exigerait non seulement de
codifier définitivement les pièces de base des adwar et des qaçîdates et des
nûbas mais aussi, pour chaque pièce écrite, adjoindre les différentes versions
issues de l’improvisation. Chaque dawr, chaque qaçîda serait un volume qui
deviendrait un livret pour tout chef d’orchestre, pour tout interprète soliste de
l’instrument ou vocal. La Nûba andalouse étant définitivement fixée dans
l’échelle modale et ne souffrant pas d’improvisation, n’exigerait pas, elle, autant
d’efforts.
L’échelle modale est déjà fixée et fut d'ailleurs utilisée par Ibn Sinâ
pour une thérapie par la musique. Le grand médecin connaissait parfaitement aussi bien les
modes de base : Rahâwî, Husseini, Rast, Busalik, Ushshâq, Hidjaz,
Sefâhân (Isfahan), Nawa, Buzurg, Mukhâlif, que les modes subsidiaires : Zawal,
Khurasani, Sharik, Nahawand, Bakharz et Marâghah, lesquels modes sont très peu
travaillés à l’heure d’aujourd’hui mais prédominants dans les parties iranienne et turque.
Colloque Un siècle d'enregistrements, matériaux pour l'étude et la transmission. Université d'Antonine. Beyrouth 2011. |
Cependant et en attendant le Messie, pour ce qui est de cette première
«communion», même si, aujourd'hui, l’âme s'émeut et ne vit
seulement qu'avec les maîtres du dawr, de la qaçida, de la nûba dans leurs plus
expressives et authentiques modulations, il est comme un souvenir de gratitude.
Car la première pierre, imparfaite peut-être maintenant, a été ce qui vous fait
gravir la sublime échelle et a permis cette délectation des effluves modales,
oublieuse et s'oubliant, pour s'attacher à tout jamais aux sonorités soyeuses
de l'Inoubliable, de ce qu’il est appelé la gamme naturelle, avec ses
micro-intervalles que la musique occidentale ne connaît pas, cette
sophistication musicale, confirmant en cela cette phrase chantée par Um Kalthum
:
- al-maghnâ’ hayati er-rûh (le chant est le souffle de l'âme)
Nous avons prononcé, certes, le terme «imparfaite». L'apprentissage
de la musique savante par simple répétition, ensuite l'obligation d'apprendre
le solfège dans le graphisme tel que nous le connaissons aujourd'hui, donnent
confusément un aperçu de l'ampleur des dégâts que connaît la musique savante du
Monde arabe et du Maghreb, composition et interprétation confondues. C'est de
ne pas avoir lié l'une à l'autre : l'art de la répétition, sous la férule d'un
maître, et l'étude d'une écriture qui n'aurait en rien ôté à la musique
savante. L'échelle tonale existait, la faute en a été qu'il n'ait pas été
inventé et fixé une écriture semblable à ce que donnaient la voix naturelle et
le génie créateur des compositeurs-interprètes de l'époque. Il n'y a plus ces
creusets où voltigeraient, suprême technicité, intervalles aujourd'hui
étouffées par la pauvreté du demi-ton ou d’instruments de musique rendant avec
peine la profondeur, la ciselure d'un trois-quarts de ton.
Et lorsque l'ennui nous étreint, à force d'entendre des bruits, des sonorités
qui, peut-être, sont une touchante tentative de bien faire, on se doit de
regarder les grands instituts de musique où se profilent les nouveaux maîtres
d'une musique hagarde, toute en synthétiseurs et se pontifiant de générer des œuvres
maîtresses de on ne sait quel univers. Alors, nous prend l’envie de dire aux
jeunes compositeurs : le monde est bien mal de nos jours et notre âme a besoin
de panser quelquefois ses blessures, puissiez-vous être le tabîb (médecin)
ainsi que le chantait Abû-l-'Ilâ, en s'adressant, un certain soir, sur la scène
de l'Opéra du Caire, au parterre des riches nobliaux de la cour du Khédive et
aux officiels britanniques et français, venus assister à la première de Aïda de Verdi, opéra commandé pour la circonstance. C’était ce
que l’on appelle la Nahda.
Quelques pièces
Abdelkarim
Raïs
Nûba Hijaz (Algérie)
Cheikh
Yusuf al-Manyalawi
Allahu yaalam (Egypte)
Abû al-'Ilâ’ Mohammad
Afdih in hafidha
(texte en langue arabe ci-dessous) (Egypte)
أفديه إن حفظ آلهوى أضيع
ملك آلفؤاد فما عسى أن أصنع
من لم يذق ظلم ألحبيب كظلمه
حلوا فقد جهل آلمحبة وادعى
يا أيها آلوجه آلجميل تدارك آلصبر
آلجميل فقد وهي وتضعضع
هل في فؤادك رحمة لمتيم
ضمت جوانحه فؤادا موجع
هل من سبيل أن صبابتي
أو أشتكي بلواي اتوجع
إني لأ ستحي كما عودتني
بسوى رضاك إليكأن أتشفع
ملك آلفؤاد فما عسى أن أصنع
من لم يذق ظلم ألحبيب كظلمه
حلوا فقد جهل آلمحبة وادعى
يا أيها آلوجه آلجميل تدارك آلصبر
آلجميل فقد وهي وتضعضع
هل في فؤادك رحمة لمتيم
ضمت جوانحه فؤادا موجع
هل من سبيل أن صبابتي
أو أشتكي بلواي اتوجع
إني لأ ستحي كما عودتني
بسوى رضاك إليكأن أتشفع
Um
Kalthûm et ‘Abdelhay Hilmi
Araka 'Assiya ed-dam'î (Egypte)
La grande qaçîda d’Abu Firâs
al-Hamadani, contemporain d'Al-Mutanabbi et cousin de Sayf Ad-Dawla (IVe siècle
de Hijra), fut écrite alors qu’il était captif, en apprenant que sa cousine et
sœur du roi, et avec laquelle il entretenait une liaison, lui avait été
infidèle.
Magnifique et sublime pièce, d’une richesse, surtout sur la dernière envolée de
« وقالت لقد أذرى بك آلدّهر بعدنا » [Elle dit alors : Le sort t’a été contraire, après nous ! - A
Dieu ne plaise, dis-je, c’est plutôt toi, et non le sort !]
La version chantée par Um Kalthum l’est sur un rythme lent, chaque mot bien
prononcé et s'appuyant fortement sur la musique.
Bien avant la version chantée par Um Kalthum, la même qaçîda fut interprétée et
arrangée par ‘Abdelhay Hilmi, L'expression est plus nerveuse, martelée (comme
un nachid), elle est dite avec force. Il lui manque l'émotion que l'on trouve
incontestablement chez Um Kalthum (texte en langue arabe ci-dessous).
Um Kalthum : http://www.medi1.com/player/player.php?i=211576
أراك عصي آلدمع شيمتك آلصبر
أما للهوى نهي عليك و لا أمر
نعم ، أنا مشتاق وعندي لوعة
ولكن مثلي
لا يذاع له سر
أما للهوى نهي عليك و لا أمر
نعم ، أنا مشتاق وعندي لوعة
ولكن مثلي
لا يذاع له سر
إذا آلليل أضواني بسطت يد آلهوى
وأذللت دمعا من خلا ئقه
وأذللت دمعا من خلا ئقه
آلكبر
تكاد تضيء آلنّار بين جوانحي
إذا هي اذكتها آلصبابة و آلفكر
تكاد تضيء آلنّار بين جوانحي
إذا هي اذكتها آلصبابة و آلفكر
معللتي
بالوصل وآلموت دونه
بالوصل وآلموت دونه
إذا متّ ظمآنًا
فلا نزل آلقطر
وقالت لقد أذرى بك آلدّهر
وقالت لقد أذرى بك آلدّهر
بعدنا
فقلت معاذا آللّه بل أنت لا آلدّهر
Spécificité du Maghreb : la musique andalouse
Ziryâb. |
La musique andalouse du Maghreb comprend, pour le Maroc deux
formes essentielles : le Tarâb al-Ala et le Tarâb al-Gharnati. Ce dernier
tarâb se retrouve aussi dans l’ouest algérien, le reste de l’Algérie pratiquant
le Sana’i et le Malouf, lequel se joue en Tunisie et, partiellement
semble-t-il, en Libye.
Les Nûbates ont été répertoriées mais toutes n’ont pas été
retrouvées. D’après de que nous en savons, les pièces recueillies ont fait l’objet
de transcriptions musicales et de nombreuses compilations, ne serait-ce qu'une première, celle des pièces marocaines présentées au Congrès du Caire.
F.C-A.
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