mercredi 25 août 2010

Nadia Sebkhi ou les mots au-delà des vénalités terrestres




Nadia Sebkhi
Nadia Sebkhi est une auteure algérienne qui, pourrait-on penser, n’est pas de ces auteurs du Maghreb se mouvant sur le territoire de leurs douleurs ancestrales, parce que lorsqu’on est à lui parler, toute sa personnalité se révèle dans la douceur. Et pourtant. De la lire, nous ouvre un univers où l’âme est « rongée de noires afflictions » parce qu’elle rencontre sur son chemin les profanateurs du rêve comme la découvrent ces vers : « Agité vers nulle part, mon cœur / Est en pointillé, / Déroutée vers nul rivage, mon âme / Est troublée, /Désarmé vers nulle force, mon esprit / Est brouillé. / Pour la millionième fois, je ressasse / Mes peurs querellées / De ma sombre peine au-dessus / Des démêlés ; / De grâce pourquoi le déferlement de prêches / Ne purifie guère les âmes et n’adoucit / Aucunement les brèches ? [...]
Le mal savoure goulûment sa dragée et plonge Dans la schizophrénie, / Traduisant de la déperdition Insane vers l’infini / J’arpente le sentier de ma désolation, / Mon âme rongée de noires afflictions »...


Romancière, poétesse prolifique, Nadia Sebkhi n’impose pas des rêves, ou alors, elle les tisse en filigrane pour ne pas les perdre et l’on est assis à sa chaise, découvrant fil à fil la « consternation » de l’incompréhension et l’espérance blottie çà et là dans son écriture. Comme pour ne pas oublier que l’espace n’est pas seulement fait de douleurs, qu’il est aussi magie de l’instant, du mot qu’elle déroule « avec passion ». Fermant le portail sur la prison, ouvrant le regard et l’esprit sur la devanture d’un extérieur qui vous enrichit et vous signifie que les mots sont libérateurs des lieux ravagés.


Malgré un emploi du temps chargé en raison de la préparation du prochain numéro de L’ivrEscQ, la revue littéraire dont elle en est directrice de publication, Nadia Sebkhi a bien voulu accorder cette interview à Arabian People & Maghrebian World.


Arabian People : Vous souvenez-vous de votre tout premier écrit ?
Nadia Sebkhi : Je me souviens surtout de ma passion pour le mot. Toute petite à peine, je déchiffrais les lettres, j’aimais la magie du vocable et l'odeur des livres. A l’école primaire, lorsque la maîtresse de français nous demandait la signification d’un mot, je m’empressais à répondre par passion pour le mot lui-même contrairement aux autres matières alors que, depuis toujours, j’excellais en mathématiques et en sciences. D’ailleurs, pendant que les petites filles jouaient à la poupée, je collectionnais des mots que je pliais comme des lettres en les cachant un peu partout dans des livres ou des tiroirs précieusement. Il m’arrive de trouver des mots datant de mon enfance dans des livres. Voilà, en fait, mon premier souvenir de l’écriture.
Arabian People : Comment vous est venue cette envie d'écrire ? Etait-ce diffus ou quelque chose qui est arrivée progressivement, à la suite d'un "déclic" ?
Nadia Sebkhi : Toute jeune, je lisais tout ce qui me tombait entre les mains et lorsque je terminais ma lecture, j’écrivais la suite de ce que je lisais, à croire que le livre me semblait inachevé. Plus tard, à dix-sept/dix-huit ans, j’écrivais ma rébellion et tout ce qui me tenaillait de l’intérieur en amour, désamour, tabous et toutes les facettes du fatum. Cependant, la phrase creuse sans style poétique était raturée de facto de mon registre. J’avais un interminable cahier journal dans lequel chaque détail aussi ténu soit-il dans le temps ou dans l’espace était important. A partir de ces fragments de textes, je construisais mon histoire.
Arabian People : Bien que notre question peut vous paraître "dénudante", si vous aviez à vous définir, comment vous voyez-vous ?
Nadia Sebkhi : Insatiablement quêteuse. J'escalade vers le beau, l'absolu, l'inaccessible. Aussi, ce qui semble vital et important chez certains est sans importance chez moi ; bien évidemment, je pointe de l’index le syndrome de cette soif de posséder, du gain et de la vénalité. Je me surprends souvent naïve dans ma foi en l’autre. Mon grand leurre est que je crois profondément en l’être, niaiserie de ma part, mais c’est ainsi ! Néanmoins, je ne veux aucunement me muer en automate par une société qui façonne des êtres dans un conformisme tacite quand, pourtant, l'aigreur est de mise dans mon milieu professionnel. Etrangement, comme par grâce, à partir de ces interminables ''questionnements'', l’écriture se révèle féconde.
Arabian People : On dit que nos écrits sont toujours le reflet de notre Moi. Croyez-vous que cela soit vrai ? N'y a-t-il pas aussi le reflet de l'Autre ?
Nadia Sebkhi : Bien évidemment, le Moi est la force de nos écrits sans oublier que tout ce qui gravite autour tisse la trame de la vie ou même de l’écrit. Il arrive que par lubie, on raconte des délires dans nos écrits, mais ce sont des folies légitimes ; l’écrivain n’a jamais été un moralisateur ou donneur de leçon ; dans mon prochain roman, j’écris un être infâme, pourri jusqu’à l’impensable et parallèlement, un autre personnage, totalement son opposé. En fait, tout le long de mes romans, je campe des personnages Ange et Démon ou mi-ange mi-démon.
Arabian People : Lequel des deux a le plus votre faveur, dirons-nous : la poésie ou le roman ?
Nadia Sebkhi : J’aime ces deux exercices de l’écriture. Dans mes écrits, la poésie est l’instant fort empli d’émotions qui découlent. En revanche, avec le roman, j’ai du recul et l’écriture du roman reste longue et prenante. D’ailleurs, je ne puis comprendre l’écriture d’un roman sur commande. Cette réalité est effrayante pour la littérature universelle, d’où ma réponse à votre troisième question.
Arabian People : Vous êtes directrice de publication de L'ivrEscQ, le magazine littéraire : quelle est, aujourd'hui, la place des écrivaines/poétesses algériennes dans la littérature algérienne d'abord, puis dans la région méditerranéenne ?
Nadia Sebkhi : J’ai la chance et le hard boulot d’être à la croisée de la littérature algérienne. Triste réalité, les femmes écrivent de moins en moins, on ne voit pas la relève. Elles sont découragées par la complexité de l’édition, et l’éditeur lui-même a peur de promouvoir les auteurs car la machine promotionnelle est coûteuse. En définitive, les gens veulent lire mais ne savent pas quoi lire car les livres sont sous-médiatisés. L’ivrEscQ est le seul magazine en Algérie à promouvoir la poésie et la littérature avec ce pari de faire revenir le livre sur la scène socioculturelle. Je termine avec cette pointe d’optimisme : lorsque nous présentons des livres sur L’ivrEscQ, ils deviennent meilleures ventes, nous sommes contents d’être la passerelle entre les acteurs du livre et le consommateur. Cependant, nous avons encore du pain sur la planche.
-o0o-


Biographie de l'auteure
Nadia Sebkhi est chimiste de formation. Associée à la Société française SIPP : « de ma passion des laboratoires, de cette précision absolue des formules de la chimie, se révèle ma passion du verbe » dit-elle. Son premier roman Un amour silencieux est une prose sensuelle parue en 2004 aux éditions Dar El-Gherb. En 2006, c’est la publication d’un recueil d'errances, Sous le voile de mon âme. Les sanglots de Césarée et La danse du jasmin vont paraître prochainement.Ayant collaboré à plusieurs revues algériennes, en 2008, elle est fondatrice de la revue littéraire algérienne L'ivrEscQ. Elle a participé à plusieurs conférences en Algérie et à l'étranger parmi lesquelles les plus marquantes :
. 14 juin 2005, conférence autour du roman « Un amour silencieux » à la Bibliothèque Nationale d’Algérie.
. 24 juillet 2005, conférence intitulée « Rendez-vous des écrivains francophones et arabophones » au palais de la culture de Djelfa à l’occasion d’un colloque.
. 15 mai 2006, conférence intitulée « L’écriture au féminin » autour du livre «Sous le voile de mon âme».
. Juillet 2006, conférence intitulée « Rompre le silence » à un important forum des femmes de la Mitidja victimes du terrorisme.
. 28 septembre 2006, errance poétique à la Galerie Benyaa organisée par le groupe EAC Paris.
. 20 décembre2006, conférence intitulée « Voix plurielles » au palais de la culture Moufdi Zakaria.
. 24 mars 2007, conférence intitulée « Ecriture féminine algérienne de l’époque médiévale à ce jour » au Salon du livre de Paris, organisée par le Gouvernement français.
. 27 novembre 2007, conférence intitulée « Thèmes récurrents des écrivaines arabo-berbères » à un colloque international avec les écrivaines du monde arabe à l’occasion d’« Alger, capitale de la culture arabe 2007 ».
. 28 décembre 2007, conférence intitulée « Femmes écrivaines dans les sociétés africaines » en Guinée, rencontre organisée par PEN International.
. 24 janvier 2008, participation à une conférence autour de Kaddour M’hamsadji et d’Albert Camus à la Bibliothèque Nationale d’Algérie.
. 19 juin 2008, conférence : l'acte d'écrire, autofiction et rapport au réel dans le roman au Centre culturel français de Constantine dans le cadre de la coopération culturelle franco-algérienne.


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